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Les réponses de “Fiers de Rouen”

Liste conduite par N. Mayer-Rossignol

THÈME 1 – Le rôle des élus locaux 

1) Le risque zéro, en matière de catastrophe industrielle, n’existe pas. Cependant, après l’incendie qui s’est développé dans les deux entreprises Lubrizol et Normandie Logistique, quelles propositions défendrez-vous, en ce qui concerne l’urbanisation autour des zones SEVESO ? 

En préambule, je souhaite rappeler le traumatisme de cette catastrophe. Traumatisme pour les victimes qui ont ressenti une forme d’humiliation d’être à ce point occultées de l’actualité nationale. Traumatisme aussi pour les salariés des sites concernés qui ont vu leur outil de travail partir en flamme. 

Le 26 septembre 2019 a été un choc. Si l’action des pompiers, des services publics et des salariés du site pour éteindre l’incendie est à saluer, la gestion de l’accident par l’Etat, en particulier la communication et l’information aux habitants, a révélé de nombreuses défaillances. Nous sommes toujours en colère. Plus jamais ça ! 

Que faire ? D’abord éviter deux démagogies électoralistes : faire l’autruche comme s’il ne s’était rien passé ; ou faire croire qu’en fermant/éloignant Lubrizol, tout serait réglé. Ce n’est pas vrai. Il y a une douzaine d’autres sites industriels ‘Seveso seuil haut’ dans notre agglomération. Il faut une approche globale et concrète. Nous proposons un chemin exigeant, précis, responsable. Avec un point fondamental, qui relève de l’honnêteté intellectuelle : sur ces enjeux de sécurité industrielle, d’urbanisation et d’écologie, la Ville de Rouen n’a quasiment aucun pouvoir, ni financier ni juridique. En revanche la Métropole, avec l’Etat, peut agir. C’est la raison pour laquelle je souhaite être Maire de Rouen, c’est-à-dire un élu proche des Rouennaises et des Rouennais, et Président de la Métropole, c’est-à-dire en capacité d’agir réellement et pas seulement de faire de grandes promesses électorales. 

Élus, nous défendrons les victimes de l’accident et relaierons leurs attentes. Nous agirons fermement pour obtenir la vérité sur ce qui s’est réellement passé. Nous demanderons à l’État le suivi sanitaire de la population dans la durée, pour détecter les éventuelles conséquences de long terme sur la santé des Rouennais. 

Nous exigerons que l’État mette très rapidement en place des systèmes d’alerte dignes de notre siècle. Des exercices pour former tous les Rouennais au risque industriel, pas seulement dans les écoles, seront conduits. Les citoyens doivent être bien mieux informés et associés aux choix politiques : panels citoyens, portes ouvertes des sites industriels, expertises indépendantes… Quant au quartier Flaubert, il sera repensé avec les Rouennais pour y intégrer, notamment, une forêt urbaine, véritable ‘écran végétal’, dans le secteur le plus proche des usines. 

2) Vous engagez-vous à refuser l’implantation de toute nouvelle usine SEVESO ? 

Il y a plusieurs types d’usines SEVESO, avec différents seuils de dangerosité. 

Dire « on ne veut plus voir une seule usine chez nous », c’est facile, c’est peut-être porteur électoralement, mais cela ne résout rien. Car à force de les repousser, plus loin et encore plus loin, où retrouve-t-on ces usines ? Elles atterrissent en Afrique, en Inde, dans des conditions déplorables à la fois au plan social et environnemental. Ce ne sont pas mes valeurs. 

3) Quel partenariat proposeriez-vous pour engager, avec les entreprises SEVESO, une réflexion destinée à réduire les risques technologiques et industrielles ? 

Le CODERST (conseil départemental de l’environnement et des risques sanitaires et technologiques) (où ne siège pas le Maire de Rouen, mais bien la Métropole !) est une instance intéressante pour ouvrir la réflexion en y ajoutant des experts et/ou des personnalités qualifiées : des médecins du CHU, des associations reconnues dans le champ environnemental…une telle instance doit dans tous les cas répondre au besoin d’information et de transparence sur ces sujets techniques et complexes. Pour ce faire, elle doit néanmoins revoir sa composition. De même, elle doit pouvoir mettre en accès libre (open data) tous les documents relatifs aux demandes d’autorisation d’ouverture et de réouverture des sites industriels les plus dangereux. 

Nous pouvons en outre imaginer : 

  • La création de “permis ou autorisations provisoires” comme en Allemagne pour les sites industriels à hauts risques ; 
  • La mise en place d’un comité pour la transparence en cas d’accident industriel majeur ; 

Un effort supplémentaire devra être fait pour mieux inclure la population concernée qui se sent aujourd’hui exclue.

Nous exigerons que l’État mette très rapidement en place des systèmes d’alerte dignes de notre siècle. Des exercices pour former tous les Rouennais au risque industriel, pas seulement dans les écoles, seront conduits. Les citoyens doivent être bien mieux informés et associés aux choix politiques : panels citoyens, portes ouvertes des sites industriels, expertises indépendantes… Disons-le : le lien de confiance est aujourd’hui brisé, il faut le restaurer. Par des actes, réels, concrets, de transparence. 

4) Quelles mesures proposeriez-vous pour protéger la métropole et ses habitants, aujourd’hui et au-delà, la région normande ? 

Les 18 mesures du président de la mission d’information sur Lubrizol à l’Assemblée Nationale, en particulier les propositions portées par le Député Christophe BOUILLON avec qui j’ai beaucoup travaillé sur le sujet, sont bien entendu une base de travail précieuse que nous devons mettre en œuvre et notamment la création d’une Autorité de sûreté des sites Seveso. 

L’enquête en cours a aussi montré des dysfonctionnements et des manquements aux obligations de sécurité. La Préfecture a mis en demeure les sociétés Lubrizol et Normandie Logistique de respecter les règles de sécurité prévues pour les installations classées. Aujourd’hui, la gestion de ces contrôles appartient à l’Etat qui dispose des compétences et des ressources nécessaires. Une meilleure information des services de la Métropole et des habitants est indispensable ; en la matière, l’autorité compétente reste l’Etat. 

Nous ne transigerons jamais sur la sécurité. Nous demanderons un audit sur l’ensemble des sites Seveso : quelles nouvelles mesures ont été prises pour garantir la sécurité ? Comment le risque lié aux intrusions est-il géré ? Les Plans de Prévention des Risques Technologiques (PPRT) seront réévalués, et avec eux le PLUi (Plan Local d’Urbanisme Intercommunal) pour mieux limiter la présence humaine autour des sites industriels, en fonction du niveau de danger. La Métropole dégagera enfin des moyens pour mieux mesurer la qualité de l’air, en lien avec les laboratoires et les associations. 

5) Que pensez-vous d’une reprise d’activités dans l’usine Lubrizol de Rouen ? À quoi conditionnez-vous une éventuelle réouverture de l’usine Lubrizol ? 

Depuis l’accident du 26 septembre, nous avons toujours affirmé notre attachement à l’activité économique et industrielle dans la vallée de Seine. Nous savons les enjeux sociaux, les milliers d’emplois concernés. Nous savons et saluons le travail, l’engagement des salariés de Lubrizol et de leurs représentants. Nous savons les efforts mis en œuvre par l’entreprise pour répondre aux exigences de sécurité demandées par l’Etat. 

Nous comprenons l’enjeu économique lié à toute demande de réouverture. Mais quels que soient les enjeux économiques, il y a deux points sur lesquels nous ne transigerons jamais : la sécurité et la transparence. Ce sont des conditions indispensables pour restaurer le lien de confiance avec nos concitoyens. Or ce lien est aujourd’hui considérablement dégradé, pour ne pas dire rompu. 

Une grande partie de la population est toujours dans l’inquiétude, la défiance, la colère. De très nombreuses questions sont en suspens, à commencer par la première d’entre elles : que s’est-il réellement passé ? Quelles sont les causes de l’incendie ? Nous n’en savons rien, l’enquête judiciaire du parquet de Paris est toujours en cours. 

De même, quelles conditions de sécurité (incendie, intrusion…) ont été mises en place pour la reprise d’activités ? L’entreprise doit fournir cet effort de transparence. Ce n’est pas le cas à ce jour. 

Enfin toute décision de réouverture, même partielle, du site de Lubrizol doit aussi s’apprécier à l’aune de la capacité de l’Etat à résoudre les défaillances graves qui ont été mises en lumière dans la gestion de l’accident et la communication de crise. Or, à ce jour, aucun système d’alerte automatique (SMS, courriels…) n’a été instauré. C’est indispensable. C’est une des raisons pour lesquelles la métropole Rouen Normandie a voté CONTRE la réouverture partielle de Lubrizol il y a quelques mois. L’ensemble des arguments qui ont conduit à cette prise de position sont toujours d’actualité, notre position n’a donc pas changé. 

Ma vision est claire : je propose de construire ensemble, et cela va être long car c’est une transition, un avenir durable pour le développement de notre territoire. Je propose que nous nous engagions sans tarder dans la construction d’un véritable contrat de transition écologique à l’échelle de Rouen, de sa métropole et de la Vallée de la Seine. Je propose concrètement une relance du développement de la Vallée de la Seine, par l’intermédiaire d’un Contrat de Transition Écologique. Cette relance, ce ‘plan Marshall écologique’ pourraient commencer par une mesure symbolique forte qui aurait beaucoup de sens ici : relocaliser l’INERIS (Institut national de l’environnement industriel et des risques), tout du moins sa Direction qui travaille sur les enjeux des risques industriels, dans la Vallée de la Seine, et pourquoi pas en l’implantant dans l’Ecoquartier Flaubert. 

Il faut préparer l’avenir : notre tissu économique doit se transformer. Plutôt que de subir, anticipons. Nous mettrons en œuvre un véritable plan de transition en accélérant la dépollution des friches, en accompagnant la reconversion des sites, en favorisant le remplacement des usines SEVESO seuil haut par l’implantation d’activités écologiquement vertueuses et pourvoyeuses de valeur ajoutée et d’emplois. Et puisque le Président de la République veut « aider les Rouennais à redevenir fiers de leur ville » (je cite), nous demanderons que l’État s’engage, réellement, pour améliorer le train Paris- Rouen-Le Havre. 

Avec l’incendie, l’image de notre ville a été abîmée. Alors faisons du ‘judo’ : transformons cette faiblesse en opportunité. Devenons la référence en matière de dépollution des sols. D’amélioration de la qualité de l’air. De transition énergétique. De logistique durable. De valorisation des ressources. D’utilisation du fleuve et du rail. Transformons notre paysage industriel, remplaçons les entreprises SEVESO polluantes par des champions de l’ère post-carbone. 

THÈME 2 – Sécurité et Prévention 

6) De nombreux plans de prévention existent (PPMS, PPI, PPRT, PPRN), quelles propositions feriez-vous pour harmoniser ces plans et pour les rendre plus opérationnels et plus efficaces ? 

Il y a tout d’abord un travail de superposition des risques et des mesures de prévention à réaliser, qui peut notamment passer par une mise en commun des travaux conduits par différentes instances : le CODERST et le Comité de Suivi des Sites (CSS) notamment. En outre, les risques sanitaires et environnementaux à grande échelle, comme nous l’avons vécu avec ce panache long de 21 km, doivent être mieux appréhendés et modélisés afin que les consignes, les conduites à tenir soient plus claires et la communication de crise plus fluide. Nous devons progresser sur ces sujets. 

La création d’une Autorité de Sûreté indépendante, recommandée par la mission d’information de l’Assemblée Nationale et en particulier Christophe BOUILLON, doit être engagée. 

Comme indiqué ci-dessus, nous ne transigerons jamais sur la sécurité. De fait l’activité de LUBRIZOL a repris, et nous demanderons donc un audit sur LUBRIZOL et plus largement sur l’ensemble des sites Seveso 

7) La sensibilisation des populations aux risques technologiques et industriels doit être développée. Comment accompagnerez-vous une démarche qui permettra à toutes et à tous une plus grande compréhension de la multiplicité de ces risques ? 

Il y a un travail important de communication à fournir pour acculturer les habitants et les élus aux risques avec lesquels nous cohabitons ; en accompagnant les tests mensuels des sirènes d’informations sur la nature des risques, en rappelant le rôle de Radio France dans les dispositifs, en insistant sur les conduites à tenir, en partageant ce qu’implique la notion de confinement… A ce titre, il faut que les services de l’Etat et des communes travaillent ensemble : nous avons à apprendre davantage des exercices PPMS (Plan Particulier de Mise en Sureté) réalisés depuis le début des années 2000 deux fois par an dans l’ensemble des établissements scolaires de l’Académie, de la maternelle au lycée (sur la base de scenarii proches de l’accident Lubrizol). 

Nous devons aussi changer les systèmes d’alerte et d’information de la population (cf. supra). 

Concernant la prévention du risque, je voudrais insister sur l’enjeu des formations. Dans les lycées, les CFA, peut-être en liaison avec le Rectorat, avec les branches professionnelles, avec les entreprises, nous devrions faire plus. Lorsque j’étais en responsabilités en 2015, la Région avait adhéré à l’ICSI, l’Institut pour une Culture de la Sécurité Industrielle. Depuis, il ne s’est pas passé grand-chose. Il me semblerait intéressant de réfléchir à un plan de formation, avec les services de l’État : comment réagir en cas d’urgence ? Quels réflexes les populations doivent-elles adopter ? Quelle éducation aux risques industriels pour les jeunes, les salariés, les personnes âgées, les familles ? 

Sur cette base, des exercices à grande échelle peuvent être envisagés à la maille d’un quartier (en mobilisant notamment les copropriétés ou des services civils citoyens par exemple, pour appliquer les consignes : c’est fastidieux, parfois pénible mais c’est aussi un moyen de mettre en pratique les recommandations : comment se confiner, quelles sources d’informations mobiliser… Voilà un chantier concret et très important. 

8) Seriez-vous d’accord pour soutenir une proposition permettant à un organisme agréé, indépendant de la DREAL, un audit des équipements et des procédures de sécurité dans les entreprises à risques (SEVESO et non SEVESO) ? 

Oui. Sans bien entendu remettre en cause le professionnalisme des agents des services de l’Etat. C’est le sens de la création d’une Autorité Indépendante recommandée par Christophe BOUILLON et la mission d’information de l’Assemblée Nationale. En médecine, un diagnostic est toujours plus précis quand il est formulé par plusieurs médecins experts indépendants ! C’est le même principe qui doit s’appliquer à la surveillance des sites industriels. 

9) Comment évacuer, selon vous, la métropole rouennaise et ses environs en cas de catastrophe industrielle ou technologique majeure ? 

De tels plans d’évacuation existent déjà, il y a simplement une règle de confidentialité pour des raisons de sécurité évidente. Une autorité indépendante de contrôle serait à même de contrôler la pertinence et la mise à jour de ses plans. Il faut bien entendu également se préparer avec des exercices de simulations. Nous devons à cet égard renforcer notre culture du risque. 

THÈME 3 – Communication 

10) Tout le monde s’accorde pour constater que la communication à l’égard des populations, depuis le 26 septembre, a été défaillante. Quelles propositions feriez-vous pour l’amélioration de cette communication ? Et comment vous investiriez-vous dans cette amélioration ? 

J’ai formulé, dans mes réponses aux questions précédentes, plusieurs propositions pour améliorer la communication -en particulier remplacer le système obsolète des sirènes par un mécanisme d’alerte par SMSujourd’huiation et mails. 

Au-delà, un des enseignements de la gestion de cette crise est l’importance du choix des termes dans la communication, afin qu’il n’y ait pas de place au doute et à l’interprétation individuelle. L’expression « limiter ses déplacements » ou « pas de toxicité aigüe » ne veulent par exemple, pas dire grand-chose et sont très anxiogènes. Cette communication n’est pas claire et il y a eu des interprétations variables, avec des sources d’incertitudes dans un moment de crise. Dans cette confusion, la responsabilité individuelle de chacun a été trop engagée là où l’Etat aurait dû prendre ses responsabilités en diffusant des consignes claires et précises, en application du principe de précaution. C’est ce principe qui doit prévaloir. 

Enfin, là encore, la prévention doit permettre à chaque habitant de savoir où chercher une information fiable. 

Réponses reçues le 11 mars à 10h48